Une histoire de TUC, de Solexine et de chambre à air
Vince, crédit photo José
Vendredi 24 juin.
Après un BRM 300 en avril qui m’a laissé bien rincé, l’impossibilité de réaliser un 400 en mai et un agenda familial en juin chargé d’heureux événements (dont en particulier la naissance de ma petite fille Aïna le 21 juin!), j’appréhende un peu ce 600. D’autant qu’il s’agit pour moi du vrai point de choix pour le Paris-Brest-Paris 2023. Après une année préparation intense à la longue distance, si ça ne passe pas c’est que l’objectif est trop ambitieux.
Je vise 35h de temps total avec une tactique simple: toujours rester « en dedans », pas trop vite au début, tranquille au milieu, calme sur la fin.
Révision de la mécanique: c’est évidemment aujourd’hui que le couple manette gauche/dérailleur avant décide d’entrer en crise. Je passe beaucoup (trop) de temps et pas mal de nerfs à tester et modifier des réglages sans réussir à aboutir à un fonctionnement satisfaisant: tant pis, on fera avec.
Samedi 25 juin, 3h00.
Couché à 23h00 hier soir, réveillé plusieurs fois… malgré cela le réveil n’est finalement pas trop difficile. Rendez-vous est pris à 4h00 avec José. Car oui, ce premier 600 se fera en mode grand luxe, avec voiture accompagnatrice que je retrouverai à chaque point de contrôle sur le parcours, tous les 100km environ. J’étais organisé pour partir en solo mais quinze jours avant le départ José m’a très gentiment proposé son assistance. J’ai sauté sur l’occasion car c’est l’organisation que j’envisage pour le Paris-Brest-Paris. Une très bonne occasion donc de tester la formule. Bon, une heure pour petit-déjeuner, s’habiller et préparer le chargement de la voiture, il ne faut pas traîner: réserves d’eau, de nourriture, matériel de réparation, chaise longue.
La dream team.
4h15: fin du chargement. José prends les commandes de ma voiture et nous arrivons au Perreux-sur-Marne à 4h40. La plupart des participants sont déjà là. Contrôle des équipements de sécurité, récupération de la carte de pointage. Le petit monde de la longue distance est représenté dans toute sa diversité: chaque engin est différent, depuis le carbone dernier cri jusqu’au vieux biclou hors d’âge, en passant par deux vélos couchés dont un caréné, certains chargés avec sacoche et bikepacking comme pour un tour du monde. Quelques cyclotes et globalement pas mal de jeunes, on sent le renouveau de l’esprit baroudeur amené par la mode gravel.
5h00: c’est le départ, au goutte-à-goutte pour éviter la formation d’un peloton au départ.
C’est parti!
Etape 1: Brasles. 97km, 777m d+.
Nous sortons de la zone urbaine au soleil levant par la piste cyclable des bords de Marne. Je roule par intermittence avec un petit groupe qui se fait et se défait. Dans la montée de Champs-sur-Marne un gars se retourne et me demande, l’air inquiet: c’est encore loin le départ ? Euh, ben, comment te dire… c’est dans l’autre sens et ça fait presque une heure qu’on est partis !! Il fait demi tour en catastrophe… et un grand fou rire ne tarde pas à traverser le groupe. Après Torcy on retrouve l’itinéraire du BRM 200 de Noisiel fait en mars avec Claude et Patou: Guermantes, Villeneuve-le-Comte (tout ça pour ça…), Tigeaux, Crécy-la-Chapelle, la D21 jusqu’à La-Ferté-sous-Jouarre puis la route des bords de Marne pour rejoindre Brasles par Château-Thierry.
9h00: arrivée à Brasles. Pile-poil l’heure prévue avec José! Je lui confie une mission de la plus haute importance: trouver du Bépanthène pour l’intégrité future de mon assise.
Les vélos couchés.
Etape 2: Bisseuil. 59km, 500m d+.
Le pointage de Brasles se fait rapidement. Plein des bidons avec un savant mélange d’eaux minérales, l’une qui va fort et l’autre riche en magnésium (mélange que José appelle « essence et Solexine ») et départ pour Bisseuil, au sud de Reims, à 9h10. Nous traversons le magnifique parc naturel de la montagne de Reims, au milieu du vignoble champenois et de ses domaines aux styles variés: du sobre, du clinquant, de l’artisanal, de l’industriel, du chic, du m’as-tu-vu, tous les goûts sont dans la nature!
11h40: arrivée à Bisseuil. Le pointage se fait dans un bar juste après le pont tournant sur le canal latéral de la Marne. José est garé sur la place un peu plus loin. Un peu de nourriture (salade de riz, fromage, banane), déploiement de la chaise longue et micro-sieste au soleil de 12h20 à 12h40.
Le pont tournant de Bisseuil.
Etape 3: Troyes. 114km, 614m d+.
13h00: plein de Solexine, bépanthénage soigneux et c’est le départ pour Troyes, la plus longue étape de ce périple. Pas de souvenir particulier sur ce tronçon, si ce n’est celui des magnifiques paysages vallonnés de l’Aube. Les sensations sont bonnes, la chaleur présente sans être intense. Mes mains commencent cependant à s’engourdir et j’ai de plus en plus de mal à changer de plateau avec ce dérailleur avant récalcitrant. Tant pis, je resterai sur la plaque jusqu’à la fin (pour les techniciens pas d’affolement, mon pédalier est un sub-compact 44/30).
17h45: arrivée au pointage de Troyes. Je commence à ressentir l’échauffement des plantes de pied que j’avais déjà éprouvé sur la fin du 300. José a fait connaissance de Didier Innocent, membre éminent de l’Audax Club Parision qui organise (entre autres!!) cette manifestation, et me le présente. Nous échangeons, je lui fais part de mes problèmes plantaires. Il me dit qu’il a failli abandonner un PBP à cause de ça et me refile le tuyau qu’un ancien lui avait transmis à l’époque: c’est tout bête, tu arroses les arpions. Je m’exécute, l’effet est immédiat! Bon à savoir! Pendant cet arrêt le ciel s’est assombri et la pluie commence à tomber au moment de partir.
Didier Innocent au contrôle de Troyes.
Etape 4, Troyes – Montbard, 96km, 918m d+.
18h30. Je parie sur une pluie légère et enfile juste un débardeur rétroréfléchissant. Après quelques kilomètres une pluie froide tombe franchement. Un petit arrêt sous un arrêt de bus s’impose pour enfiler un coupe-vent léger. Un bon point pour la pluie: l’échauffement plantaire a complètement disparu.
Cette étape vers Montbard s’annonce ardue: la pluie, le dénivelé (plus de 900m d’ascension), la nuit qui viendra en milieu d’étape, la fatigue de cette longue journée. Paradoxalement, c’est aussi la plus réconfortante, car c’est celle de la bascule: à l’arrivée à Montbard tu sais que tu vas pouvoir dormir (un peu), que tu auras largement passé la moitié du kilométrage total, qu’il te restera ensuite une journée entière pour faire un gros 200… bref, entre les gouttes, tu commences à entrevoir la fin.
J’en étais là de ces réflexions lorsque suite à un petit choc en descente le support du téléphone se désolidarise du guidon. Au bruit de l’impact derrière moi je devine que téléphone et support se sont séparés en percutant le sol… Le temps de freiner et de faire demi-tour fissa pour retrouver le téléphone me paraît très long. Alimenté par le moyeu dynamo, le téléphone me sert de moyen de communication bien sûr, mais aussi de GPS. S’il est explosé ou si une voiture le transforme en crêpe je serai un peu dans la mouhise! Je le retrouve: à part un petit éclat sur l’écran en haut à gauche, ràs. Le support est quant à lui irrécupérable. Je réfléchis deux secondes à une solution de réparation et pense au bout de chambre à air dans ma trousse de réparation. J’envoie un SMS à José pour lui dire que j’aurai 30 minutes de retard, puis réussis à arrimer le téléphone à la potence. Le bout de chambre à air masque une zone de l’écran mais les informations nécessaires au guidage restent visibles. Encore un peu de bricole pour adapter la fixation du câble de charge et roule ma poule. Le plus dur dans tout ça est de tapoter sur le téléphone, parce qu’un écran tactile sous la flotte c’est un peu capricieux! Hors de l’étui protecteur du support il a vite fait d’interpréter chaque impact de goutte comme l’appui d’un doigt sur l’écran… et il pleut encore beaucoup. Ça clignote de partout, c’est le Noël des applis, le carnaval d’Androïd, je dois m’y reprendre à au moins dix fois pour arriver à activer la fonction verrouillage de l’écran de l’appli de navigation.
Sunset in Burgundy.
21h30: un beau coucher de soleil débute. Allumage des feux. Petit à petit le faisceau de la lampe avant s’impose comme seule source de lumière. Le relief, montée ou descente, devient beaucoup moins perceptible à l’œil. Par moment tu ne sais plus trop si tu n’avances plus parce que tu n’as plus de jambes ou juste parce que la route monte… ou les deux. Dans le silence nocturne certains bruits sont amplifiés de façon démesurée: les gouttes d’eau qui tombent des arbres, les hululements de chouettes, et plus généralement tous les sons qui proviennent des sous-bois et dont on espère que leurs auteurs y resteront: pas envie de croiser biches effrayées ou sangliers apeurés!
23h45: arrivée à Montbard. Le pointage est en théorie prévu dans le bar chez Fred, sensé être ouvert jusqu’à 2h00 du mat. En pratique, c’est le kebab d’en face de chez Fred qui accueille les randonneurs et tamponne les feuilles de route. José a trouvé une place idéale pour passer la nuit, sur le parking de chez Fred. Il pleut quelques gouttes, impossible de dormir à la belle étoile dans la chaise longue. Tant pis, ce sera siège passager pour moi, siège conducteur pour José.
Dimanche 26 juin
Je dors bien jusqu’à 3h00, puis me réveille plusieurs fois de suite.
3h45: pas la peine de traîner. Je réveille José et nous émergeons lentement. La pluie s’est calmée. Nous petit-déjeunons tranquillement et je commence à préparer les affaires. Mission de la matinée pour José, quelques courses: bananes, Saint-Yorre et surtout, surtout… des TUC. Car, très grave erreur, flagellation et repentance, j’ai oublié mes TUC au départ.
Etape 5: Montbard – Joigny. 96km, 763m d+.
5h00: alors que j’ai eu du mal à retrouver et à mettre une paire de chaussettes archisèches comme dirait l’archiduchesse, voilà que la pluie revient dans la partie, et pas qu’un peu! Bon, j’aurais eu les pieds au sec trois minutes… c’est mieux que rien. Réinstallation du téléphone dans son support chambre à air et départ pour Joigny après avoir viré trois ou quatre escargots qui s’étaient tranquillement installés sur le cadre: aucun doute, on est bien en Bourgogne.
Les 15 premiers kilomètres le long de la Brenne sont plats comme la main. Ça se corse ensuite! L’essentiel du dénivelé est localisé entre les kilomètres 15 et 45. Trois longues montées et quelques belles bosses. Dans la première montée j’aperçois au loin une cyclote en gilet orange qui zigzague au ralenti: pente forte et fatigue extrême. Je la rattrape rapidement, elle répond à mon salut: ça va, rien de grave… mais son regard est lointain. Dans les longues lignes droites qui suivent un groupe de trois gros rouleurs me rattrape. Ils sont un peu surpris de me croiser à nouveau puisqu’ils m’ont déjà doublé hier en fin de matinée. On discute, je me colle dans les roues, je prends des relais, et on file ensemble entre 32 et 35 km/h sur trente bornes. Ça fait du bien d’avoir de la compagnie, de changer de rythme et de lâcher quelques watts, même si les relais serrés sous la pluie ce n’est pas le plus agréable en vélo… bon, mais faut pas que je m’emballe non plus! Pause pipi pour mes trois compères, je continue et retrouve mon rythme de croisière pour rejoindre Joigny.
Café crème.
9h15: café crème et viennoiseries à Joigny dans le bar où a lieu le pointage. Discussion technique avec José pour remplacer l’installation chambre à air/téléphone par le GPS vélo que j’avais prévu en secours, et faire en sorte qu’il soit connecté au moyeu dynamo pour être en charge permanente. Pendant que José mécano oeuvre je m’offre une micro-sieste.
José la bricole à l’oeuvre.
Oklm.
Etape 6: Joigny – Moret-sur-Loing. 74km, 536m d+.
10h15: départ de Joigny. Après quelques kilomètres les trois compères me rattrapent à nouveau. Je profite à nouveau du train une trentaine de bornes, le rythme est un peu moins soutenu, on discute de deux-trois broutilles, de Paris-Brest… mais surtout pas de Brest-Paris! Jean-Luc, l’un des trois compères, l’a encore mauvaise: il a du abandonner à Brest lors de la dernière édition en 2019.
Les trois compères.
13h30: arrivée à Moret-sur-Loing. Pointage puis direction le centre de ce très beau village pour déjeuner dans un petit resto en terrasse avec José. 14h30: petite sieste au grand air sur les bords du Loing.
15h00: départ pour la dernière étape. Plus que 70 bornes!!!
Etape 7: Moret-sur-Loing – Le Perreux-sur-Marne. 74km, 471m d+.
Dans la bonne grimpette au sortir de Moret-sur-Loing je rattrape un brevettiste, un des membres du groupe d’hier matin au départ. Il n’a pas l’air au mieux, mais ça devrait aller pour être dans les délais. De mon côté j’essaie de ne pas tarder: Aïna et sa maman sont sorties de l’hôpital aujourd’hui et une petite fête est prévue à la maison ce soir. Je ne festoyerai certainement pas jusqu’au bout de la nuit mais je ne veux pas rentrer tôt tard non plus! J’arrive encore à enrouler sur le plat et intersecte avec plaisir à plusieurs reprises l’itinéraire VTT que nous avons emprunté lors de notre rando club VTT début juin (l’épique épopée du Malesherbois): Fontaine-le-Port, Moisenay, etc. A partir d’Aubigny/Limoges Fourches je retrouve des routes connues de la partie sud de mon terrain de jeu habituel. A Brie-Comte-Robert l’ambiance redevient clairement périurbaine: automobilistes et deux-roues franciliens, pistes cyclables, trottinettes. Il faut nettement augmenter le niveau d’attention. Jusqu’au Perreux-sur-Marne le tissu urbain se densifie. Les nombreux feux de circulation et la densité du trafic imposent de fréquents démarrages et relances qui pèsent un peu après 600 bornes.
18h25: après avoir retrouvé sur quelques centaines de mètres le calme de la piste cyclable des bords de Marne c’est l’arrivée au Perreux… Je peux enfin savourer le TUC de la victoire!
Bilan
Après 610km, 4580m de dénivelé positif, 37h30 de temps total dont 27h30 de roulage, une bonne douzaine de litres d’eaux minérales et un seul TUC (mais quel TUC!), je me sens plutôt bien, en tous cas beaucoup mieux qu’à l’arrivée du 300 d’Andrésy en avril!
J’ai pu valider certains choix d’organisation (dont bien entendu la voiture accompagnatrice) et de gestion de l’effort dans la durée: eaux minérales pour l’apport en sels minéraux, micro-siestes pour récupérer quand nécessaire, toutes les ascensions en danseuse pour varier les positions, soulager l’assise et le dos et faire travailler différemment les muscles des jambes. Au bilan des jours qui ont suivi la récupération a été bonne, pas de crampe, courbature ou autre douleur. Bref, dans la tête tout est ok pour pouvoir faire rapidement demi-tour vers Paris une fois arrivé à Brest!
J’ai par contre rencontré un problème qu’il faudra absolument résoudre: le syndrome du canal carpien, un classique de la longue distance du fait des appuis prolongés et qui se traduit par une sorte de paralysie des mains, temporaire au début mais qui peut devenir chronique.
Pour finir un grand merci à José, compagnon agréable et au combien efficace, tour à tour chauffeur, secrétaire, photographe, intendant, mécano… J’espère qu’il aura pris autant de plaisir que moi à vivre cette aventure. En tous cas il est certainement déjà contaminé par le virus de la longue distance, et à tout prendre, ce n’est pas la pire des maladies!
Maintenant cap sur les Pyrénées en juillet et les 24h du Mans vélo fin août.