21-22 Avril 2022
Thierry MORLET, Nicolas GRAPIN, Vincent AGUILERA
à la plume: Thierry et Vince
Vendredi 20h07, arrivée du TGV en gare de Chessy: fin de l’aventure. Vélos démontés et houssés, nous nous extirpons du train la tête encore pleine des souvenirs tous frais de ces deux jours dans le Vaucluse, un brin décalés au milieu de la foule des vacanciers venus rencontrer une souris géante.
Le Ventoux! Dans la tribu cyclo ce nom évoque un univers fantasmagorique, une ascension dantesque sous une chaleur étouffante, des derniers kilomètres souvent synonymes de lutte solitaire contre un vent terrible, la pente âpre d’un désert rocailleux, un soleil écrasant ou un froid glacial, la fin tragique de Tom Simpson et avec elle un monde douteux et que l’on espère passé de certains excès du cyclisme professionnel.
Thierry nous rappelle la genèse de cette randonnée: « de retour des relais Hendaye-Bordeaux-La Rochelle début février avec Nicolas, alors que nous saluons notre ballade autour d’un verre de Bordeaux blanc moelleux, le Mont Ventoux survient dans la conversation. Nico me dit qu’il ne l’a jamais monté et que ça le tente. Bingo! Moi qui le monte fréquemment, mais de moins en moins vite, depuis une première le 15 juin 1989, je lui propose un petit séjour Vaucluse comme je l’ai déjà fait à trois reprises avec des copains du club. Vendu, le projet fait son chemin. Lors d’une sortie j’en parle à Vince qui lui non plus ne connaît pas encore cet épouvantail à cyclistes. Les dates se calent en fonction des disponibilités de chacun. Ce sera les 21 et 22 avril 2022. Je m’occupe des billets de train avec les meilleurs horaires et prix ainsi que de trouver un gîte bien situé et qui accepterait que l’on pose des bagages avant d’aller monter le Ventoux et de les récupérer après l’ascension. C’est décidé, nous ferons l’ascension la plus connue et réputée la plus difficile, par Bédoin, celle traditionnellement empruntée par le Tour de France. »
Jeudi 21 avril. Nous nous retrouvons à la gare de Chessy pour le Ouigo de 7h13. Nous arrivons à caser deux vélos dans le compartiment bagages. Nico mettra le sien dans une autre voiture. Depuis une semaine nous surveillons attentivement les prévisions météo. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles évoluent rapidement! Notre plan initial était, une fois arrivés à Avignon, de rejoindre notre gîte situé à Aubignan, à une quarantaine de kilomètres, et d’y laisser le gros des bagages pour faire la boucle du Ventoux. La veille du départ des conditions orageuses sont prévues dans l’après-midi du jeudi. Nous décalons le Ventoux à vendredi. Thierry adapte les parcours en conséquence.
Ce jeudi sera donc consacré aux gorges de la Nesque, sans passer comme prévu initialement par le gîte. Vince n’a pas eu le temps d’adapter son paquetage aux nouveaux itinéraires. Le menu déjà copieux de cette étape lui fera amèrement regretter le choix d’un sac à dos qu’il devra du coup porter sur 140km avec 1450m de dénivelé positif. Au sortir d’Avignon, mises à part des pointes d’odeurs de garrigue qui effleurent déjà les narines, les premiers kilomètres n’offrent aucun charme particulier. Puis peu à peu l’agglomération s’estompe. En quittant la vallée de la Durance le relief de Provence s’installe. Après 30km nous arrivons à l’Isle-sur-la-Sorgue et flanons dans son marché. « Du vrai, sincère, pur, large, en un seul mot, authentique » pour reprendre l’envolée célèbre de Jean de Florette. Ca de l’authentique on en a eu! Du vrai, du pur Nico! Déjà dimanche au cours de la sortie club il a rencontré une panne pour le moins rarissime. Son petit plateau est devenu inutilisable car tordu après que trois vis cheminées ont choisi la poudre d’escampette. Avec une révision réalisée mardi chez un vélociste nous pouvions nous imaginer à l’abri de soucis mécaniques sur sa monture. Grave erreur… à nouveau la même panne! Décidément un brin fumeuse cette histoire de vis cheminées. Google indique un vélociste ouvert à Pernes-les-Fontaines, environ 10km. Vince appelle, sans succès. Nous décidons de poursuivre et de faire le point à Pernes. Là Thierry appelle son ami Christian qui habite dans le coin. Il est 12h30. Pendant que Thierry discute au téléphone Vince poursuit le chemin pour voir si le vélociste est ouvert. Miracle, c’est le cas! Deux jeunes l’accueillent bien sympathiquement et sont d’accord pour voir ce qu’il est possible de faire. Vince rapporte la bonne nouvelle au groupe, nous revenons tous trois au magasin et laissons Nico entre de bonnes mains pendant que nous prenons un petit café avec Thierry. En moins de quarante-cinq minutes d’arrêt l’affaire aura été réglée. Un grand merci et un peu de pub au passage pour le magasin « L’Officina, bici da corsa » à Pernes-les-Fontaines, sans eux notre périple aurait pris une tournure différente. Sur le coup de 14h00 nous visitons le magnifique village de Venasque et entrerons vers 15h00 dans les gorges de la Nesque. Trois heures magiques dans ce canyon grandiose et sauvage où nous croisons plus de cyclos que de voitures. Nous profitons de ce paysage formidable, en particulier depuis le belvédère de Castellaras si bien décrit par Mistral: « Cette Nesque s’engouffre dans une gorge anfractueuse et sombre; et vient ensuite un point où le roc brusquement et incroyablement se cabre… C’est du Rocher du Cire qu’il s’agit: ni chat ni chèvre, ni satyre, Je vous en réponds bien, jamais n’y grimperont! Seule l’hirondelle de roche le rase de son aile. »
Les conditions météo auront été bien agréables tout au long de cette première journée. Nous aurons tout juste essuyé quelques gouttes dans la longue descente sur Méthamis et terminons cette première journée en rejoignant Aubignan vers 18h15. Thierry se transmute alors immédiatement en chef cuistot: courses rapides pendant que Nico et Vince investissent le gîte et préfèrent vérifier le confort du canapé plutôt que de continuer à pédaler sur la dernière boucle de 18km que leur avait concocté Thierry. Patates au beurre, sardines tomate, yaourts: un repas simple et bien réconfortant après huit heures de ballade. Sans oublier les délicieuses fraises que nous a apporté Christian, le copain de Thierry, venu tailler le bout de gras. Une soirée bien agréable et puis une douche et au lit, parce que demain…
Sommet à 1910m. 21km de montée avec une pente moyenne de près de 10% sur les 10km qui séparent le virage du restaurant de Sainte Colombe et le chalet Reynard. 10km dans un bois sans repère hormis les bornes kilométriques qui annoncent l’altitude et le pourcentage à venir. 10km où le coeur est au maximum, où l’on paye cash les développements trop grands ou les grammes en trop, qu’ils soient sur la monture ou sur le bonhomme. 10km où ça tire, ça coince, ça chauffe, ça brûle. Chacun s’installe dans son rythme. Le plus important: ne pas se mettre dans le rouge. Vider la tête, laisser venir les idées mauvaises pour mieux les laisser glisser. Le pied à terre, l’abandon? Oui, oui, si vous voulez. Venez. Partez devant. Retrouvez-moi là-haut, on en recausera. Une fois passée l’altitude de 1000m un cap est franchi. Objectif chalet Reynard, 1400m. A partir de 1200m le paysage change. La forêt clairsemée laisse apercevoir les pierriers du sommet. Au chalet Reynard se fait la jonction avec la montée par Sault, moins éprouvante paraît-il que celle par Bédoin. La petite pause en terrasse et le retour en société cycliste contrastent avec les longues minutes d’effort solitaire. Conditions météo idéales. Soleil, pas de vent, température fraîche. Tu peux maintenant rouler crânement sur la tête de calcaire du géant chauve, profiter que la pente soit un peu moins raide pour enfin sentir du répondant sous les pédales. Les congères qui persistent le long de la route, les piquets neige démesurés qui balisent le chemin et l’absence de végétation te rappellent quand même que tu frôles l’univers de la haute montagne. Tu apprécies d’autant plus le ciel clair qui permet aujourd’hui de profiter pleinement du paysage au sommet. La fraîcheur t’oblige malgré tout à penser rapidement à la descente. Tu enfiles un coupe-vent et des gants longs. Le soleil brille, le collant restera dans la sacoche. Vérification des freins, de la pression des pneus, et c’est parti pour la descente vers Malaucène. Le col est encore fermé à la circulation routière de ce côté-ci. Les éboulements de l’hiver mordent encore par endroits sur une bonne partie de la chaussée, cailloux et gravillons sont nombreux, il va falloir être vigilant dans la descente! Trente minutes de pur bonheur cycliste, comme en tapis volant, pour atterrir à Malaucène où le trio se reforme pour partager un croque-monsieur et un café. La route retour vers Aubignan nous permet de profiter encore de la Provence avec la boucle de Suzette, les extraordinaires aiguilles des Dentelles de Montmirail et le passage par Beaumes-de-Venise. Un peu avant 14h nous aurons récupéré nos affaires au gîte et arriverons à la gare d’Avignon TGV vers 16h30 avec tout le temps nécessaire pour démonter les vélos et accéder au quai. Dans le train, il paraît que certains ont dormi…